Mémoires confinées
Projet de cycle master, réalisé en 2020, dans le cadre de l’atelier « Foule non humaine», en trinôme avec Apolline Lemaitre et Alexandra Gardner-O'Brien. Sous la direction de Can Onaner, Mathilde Sari et Valérian Amalric
Le thème du confinement
Durant la période de crise sanitaire, la place de la culture au sein de la société a été remise en question. La restriction de nos libertés de mouvement, de rassemblement ou de manifestation a mis en péril l’expression des activités culturelles (festivals, cinémas, théâtres et expositions) limitant nos déplacements à des usages stricts et restreints. Cette mise à distance de la culture ainsi créée, représente un réel enjeu, pourtant aujourd’hui relégué au second plan, voire complètement reniée par nos gouvernements. L’exercice des activités culturelles étant souvent associé à des lieux clos, inaccessibles pendant le confinement, car interdits au public, a occulté une partie de notre patrimoine social et artistique pourtant ‘essence’ de l’identité de la société dans laquelle nous évoluons. Parallèlement, ce sont autant de vécus personnels qui font sens dans la constitution d’une identité collective. Par l’extraction de souvenirs qui constituent nos mémoires individuelles, notre projet s’inspire donc naturellement de l’expérience du confinement en tant qu’expérience individuelle vécut collectivement. Il se présente comme un recueil de souvenirs dont la finalité est la création d’une mémoire collective liée à l’état physique, psychologique et sensoriel généré par ce confinement collectif imposé.
À travers cette réflexion, nous avons mis en valeur un sujet d’actualité, bientôt historique, sous forme d’événement culturel public rendant hommage à ces mémoires individuelles isolées. Nous souhaitions utiliser la symbolique architecturale en tant que langage commun permettant la retranscription de chacune de ces expériences vécues et ressenties de manière singulière par chaque individu. Nous nous sommes donc inspirées des médiums du théâtre et de l’exposition, jouant de leurs codes respectifs, afin de proposer une forme physique d’ “hommage” aux souvenirs, dont la mise en scène théâtrale et scénographique participe à la valorisation d’une culture commune.
La situation que nous avons vécu, au travers de la crise sanitaire, a donc grandement influencé la fabrique du projet, et nous a amené à réfléchir à la manière dont nous pourrions garder ce lien qui unit les foules humaines aux territoires qui les entourent. De par la distanciation géographique qui nous a été imposé, nous nous sommes retrouvées chacune plongée dans des cadres de vie diamétralement opposés : la campagne du Sud-Ouest, près d’Agen, le centre urbain à Rennes et le pavillonnaire près de Lannion. Cela nous a permis de prendre conscience des dissemblances quant aux ressentis qui nous ont animé au sein de ces trois lieux.
La démarche
Le confinement amène à restreindre la vision à un cadre limité : la fenêtre. A travers ce cadre, nous sommes en permanence confrontés à un même paysage urbain ou naturel composé d’une multitude d’architectures, de végétations et d’enseignes-objets. Bien loin de limiter notre imaginaire, cela nous permet l’évasion, une sorte de “voyage immobile et varié à travers les plus beaux sites du paysage accidenté des heures.” En effet, Marcel Proust dans son oeuvre, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, souligne l’importance de la fenêtre comme porte d’accès/ouverture vers le rêve, unique lien avec l’extérieur lorsqu’on se retrouve enfermé. En 1857, Gustave Flaubert décrit Madame Bovary à la fenêtre, car « la fenêtre, en province, remplace les théâtres et la promenade ». En ce sens, Flaubert trouvait son propre divertissement dans la contemplation de l’autre.
Ainsi, nous avons tenté de recueillir des expériences personnelles, par l’archivage de mots, phrases et citations traduisant des ressentis d’individus confinés, au travers du compte Instagram « dimension cachée » dont le but était de publier des photographies reliées à des phrases d’humains en confinement. Exprimés telles des “pensées jetées” ou “idées volantes”, ces courts écrits s’expriment sous la forme de substantifs tels que: “Déjeuner dehors” ou “Jardin intérieur”, mais aussi des descriptions: “Nous avons déplié la table de repassage pour notre apéritif avec vue”, des allégories “J’ai installé ma chambre sous le charme” ou encore “Il y a même des jours où j’entends la lune respirer” etc...
Par conséquent, à travers notre projet, nous souhaitons honorer ces songes à travers des représentations architecturées plus ou moins abstraites afin de créer un véritable atlas de souvenirs constituant la mémoire collective. C’est cet amas de souvenirs, traduit à travers des reconstitutions de situations confinées, qui caractérisera alors notre foule immatérielle. Ce nouveau système que l’on imagine mécanique suit la logique de la variable : une expérience produit un dispositif immersif. Ainsi, au travers de notre scénario, nous souhaitons élaborer un nouveau moyen d’expression, fédératrice des foules humaines, permettant à chacun.e de s’identifier et de témoigner d’une expérience collective pourtant vécue individuellement, en suggérant le rêve, l’imagination et l’évasion mentale.